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Du Sénégal à l’Italie : la caravane du cinéma qui défie la mafia | Cinemovel Foundation

 
8 août 2025   |   Sénégal, Cinéma, Cinemovel Foundation
 
Foto di Andrea Fiumana - Cinemovel
Foto di Andrea Fiumana – Cinemovel

Le cinéma contre les mafias. Le cinéma pour la justice et pour la liberté des personnes. Depuis deux décennies, c’est le travail mené avec passion par la Fondation Cinemovel et son festival itinérant “Libero Cinema in Libera Terra”.

S’il existe une manière noble et exemplaire d’opérer le cinéma…, c’est bien celle de la Fondation Cinemovel, créée par Elisabetta Antognoni et Nello Ferrieri. Sa mission ? Offrir du cinéma à qui ne l’a plus, ou ne l’a jamais eu. Cinemovel le lui apporte, le lui construit d’un geste symbolique et concret, car, sur les toiles blanches hissées avec ténacité et esprit communautaire du haut en bas de l’Italie (et ailleurs), se déroulent des films de valeur, des relations se construisent.

Le voyage aux origines de Io Capitano

Un moment spécial de cette action, dans sa vingtième édition, fut vécu au printemps 2024, lorsque la caravane Cinemovel s’est envolée pour le Sénégal, afin d’amener le film Io Capitano, de Matteo Garrone (ici nos commentaires) aux endroits d’où partent les protagonistes à la recherche d’un avenir en Europe.

Ce fut un voyage dans ce pays africain, avec projections et débats, rencontres et réflexions partagés. Un projet chargé d’émotion et formateur, approuvé par le réalisateur lui-même. Un retour aux origines d’Io capitano, avec un groupe qui comprenait Seydou Sarr, l’extraordinaire protagoniste du film, Moustapha Fall, autre personnage de l’histoire, et Mamadou Kouassi, qui en a inspiré une partie.

Foto di Niccolo Barca - Cinemovel Foundation
Foto di Niccolo Barca – Cinemovel Foundation

Le voyage raconté dans un documentaire

Tous ont répondu avec enthousiasme à la proposition de Cinémotel et ont interagit avec les spectateurs, dans les discussions après les projections. Nombreuses furent les pensées fortes et les phrases incisives, dont beaucoup retracées dans le documentaire qui a résumé cette aventure extraordinaire : « Allacciate le cinture, il viaggio di Io capitano in Senegal » (trad. : Attachez vos ceintures, le voyage de Io capitano au Sénégal), de Tommaso Merighi, disponible sur Raiplay.

C’est un reportage passionné avec les témoignages de qui affronta le voyage, de qui cherche l’espoir et de qui a mieux compris les dangers d’une telle aventure grâce au film, souvent vu pour la première fois par l’intermédiaire de Cinemovel,

Les mots de Seydou Sarr

Dans un extrait de Allacciate le cinture, Seydou Sarr même raconte son émotion au passage de la caravane à Thiès, ville où il grandit. « Il n’y existe pas de salle de cinéma – explique-t-il – et projeter le film ici, dans les écoles, est un plaisir énorme. » Le cinéaste l’a fait – poursuit Seydou – pour montrer ce qui se passe réellement dans le désert ». C’est « l’exacte réalité », d’où « la grande importance du film pour nous ».

Seydou se dit « fier de représenter ceux qui n’ont pas de voix » et rappelle la rencontre, au Maroc, avec les migrants bloqués au cours de leur voyage de l’espoir. Garrone les a engagés pour le film ; parmi eux se trouvaient des « Sénégalais et des Ivoiriens ». Leurs histoires, rappelle le protagoniste, « m’avait encore plus motivé ».

Un voyage qui part de loin et arrive à Libero Cinema in Libera Terra

L’histoire de Cinemovel part de loin : d’un voyage en Afrique à la fin des années quatre-vingt-dix réalisé par Elisabetta Antognoni et Nello Ferrieri. D’où l’idée d’organiser un cinéma itinérant dans les villages africains, simultanément à des campagnes de communication sociale et sanitaire. Furent alors traversés le Mozambique, le Maroc, le Sénégal, la Tunisie, et jusqu’au Brésil.

Lentement prit forme, en 2006, l’histoire de Libero Cinema in Libera Terra, notamment à travers la rencontre avec les coopératives Libera Terra et Libera. Il s’agit d’un festival de cinéma itinérant contre les mafias, le plus ancien d’Italie.

Chaque été, le fourgon de Libero Cinema repart dans toute l’Italie, avec ses films et messages sur les places, dans les parcs, dans les espaces confisqués aux mafias et rendus à la communauté.

Foto di Andrea Fiumana - Cinemovel Foundation
Foto di Andrea Fiumana – Cinemovel Foundation

De Portella della Ginestra à Tor Bella Monaca

La première édition de Libero Cinema (promue par la Fondation Cinemovel et Libera) eut lieu à Portella della Ginestra : le 1er mai 1947, un attentat de la mafia y avait causé la mort de onze personnes. Depuis, Cinemovel et Libero Cinema ne se sont jamais arrêtés. 128 communes touchées, 16 régions traversées, près de 170 000 kilomètres parcourus, 197 films projetés. Sont aussi plus d’une centaine les associations locales qui s’engagent.

Parmi les villes de cette année, Vintimille : un lieu frontalier entre l’Italie et la France, endroit obligé pour les migrants. Puis Catane, avec son port où fut rappelé le souvenir du commissaire Beppe Montana, tué par Cosa Nostra en 1985. Jusqu’à Tor Bella Monaca, l’un des quartiers les plus problématiques de Rome, le 19 juillet dernier, jour de la commémoration de l’attentat de Via D’Amelio (Palerme 1992).

Parmi ce que propose cette édition, outre le documentaire Allacciate le cinture, le spectacle Mafia Liquida, du cinéma dessiné en direct avec Vito Baroncini au rétroprojecteur, et les films Il giudice e il boss, de Pasquale Scimeca ; No Other Land, de Yuval Abraham et Basel Adra, lauréat de l’Oscar du meilleur documentaire en 2025 ; Un mondo a parte, de Riccardo Milani ; La storia de Frank et Nina, par Paola Randi ; C’è ancora domani, de Paola Cortellesi.

Ensemble pour construire la communauté avec « la force du nous »

Libero Cinema s’adresse à des publics divers avec des langages et des genres qui diffèrent, avec la fertilité du carrefour entre culture, simplicité, mémoire, ténacité, rédemption et actualité : c’est ce qui forme l’identité de Cinemovel.

Des écrans où furent vu injustice et abandon. Aussi liberté là où les mafias avaient apporté la terreur, dans les biens confisqués au crime, dans les endroits oubliés.

C’est une histoire pleine de lumière, non seulement par les chiffres, certainement réconfortants, mais pour la mise en mouvement continue d’une société saine, pour la construction d’une communauté centrée sur l’humain. « Le festival n’a jamais été un événement de consommation – écrivent les protagonistes de Libero Cinema – mais un processus à vivre : chaque étape est élaborée en collaboration avec les directeurs de Libera, les coopératives sociales, les administrations, les paroisses, les écoles, les citoyens. Au cours de ces vingt années, il a raconté des histoires de résistance civile, de lutte contre la corruption, d’alternative possible, toujours avec un regard sur les plus jeunes, pour alimenter conscience et imagination ».

Nous lisons encore !  « Comme l’écrivait Paolo Borsellino ‘la culture mafieuse ne peut être vaincue que par une culture de la légalité’. Libero Cinema, depuis vingt ans, suit cette voie. Avec un écran monté sous les étoiles, et la force du nous ».


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