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Workshop

Un regard “différent” sur la crise équatorienne

 
21 février 2020   |   , ,
 
Par Catalina Hinojosa

L’histoire de la crise en Equateur du point de vue de ceux qui l’ont vécue en aidant les manifestants.

En mars 2019, le gouvernement équatorien a signé un accord avec le Fonds monétaire international pour recevoir un prêt de 4 milliards 200 millions de dollars.

Pour obtenir une somme aussi élevée, le pays aurait dû prendre plusieurs mesures: réduire le déficit budgétaire et les dépenses, augmenter les recettes et réformer le Code du travail, afin de diminuer les coûts de recrutement et licenciement. Le 1er octobre 2019, le président Lénine Moreno a annoncé la révocation des subsides aux carburants. Cette décision a provoqué une grève nationale déclenchée par l’Union des Transports pour protester contre le décret présidentiel.

Deux jours plus tard, les communautés et les peuples autochtones ont annoncé leur participation à la grève nationale, puis, progressivement, d’autres secteurs et groupes de la société ont décidé de prendre part aux manifestations. Des gens de différentes parties du pays se sont déplacés vers les centres urbains et ont, en particulier, marché vers Quito, la capitale, pour protester.

Le 3 octobre 2019, le malaise s’est répandu à travers tout le pays et le gouvernement a ordonné aux forces militaires et policières de réprimer les protestations. Les affrontements entre la police et les manifestants ont causé de nombreux blessés et des centaines d’arrestations. Face à la violence, le gouvernement a proclamé l’état d’urgence. Toutefois, après un accord avec le gouvernement, selon lequel le prix des billets de transport public serait augmenté, l’Union des Transports a abandonné la grève nationale. Cela signifiait que l’augmentation des coûts de carburant passerait aux utilisateurs: d’où fut engendrée une réaction des classes moyennes et inférieures de la population.

D’un autre côté, les peuples autochtones et les divers syndicats poursuivaient les manifestations: la grève s’est ainsi étendue à d’autres villes, bloquant les autoroutes et provoquant des affrontements avec les tenants de la politique et les militaires. Le 7 octobre, le président a suspendu les activités du gouvernement à Quito et en a déplacé le siège à Guayaquil, dans le sud du pays: il voulait ainsi échapper aux manifestants qui s’étaient rassemblés devant l’Assemblée nationale et le palais présidentiel.

Les jours suivants, les gens ont continué de manifester et certains bâtiments publics ont été détruits, ce qui a conduit le gouvernement à annoncer le couvre-feu.

Avec toutes ces mesures, le malaise général s’est accru et l’on a voulu  retrouver un climat social pacifique. De nombreuses ONG et revues indépendantes ont fait valoir le point de vue des manifestants sur ce qui se passait dans le pays. D’autres organisations telles que les Nations Unies et la Conférence épiscopale de l’Équateur ont encouragé le dialogue entre les leaders des manifestants et le gouvernement. Le 14 octobre, les chefs des communautés autochtones et le gouvernement ont convenu d’abandonner la grève et de renégocier les mesures économiques demandées par le FMI, afin de sauvegarder la population vulnérable et de prêter attention aux zones rurales qui exigent la garantie d’une agriculture durable.

Malgré les difficultés rencontrées durant ces journées de protestation, la société, par le biais de citoyens, d’universités, d’ONG et d’autres acteurs, a soutenu la population autochtone qui s’était rendue à Quito pour protester. De nombreux groupes de bénévoles ont donné leur temps, leur argent et autres, afin d’aider les gens et reconstruire les espaces publics. En effet, après la fin des manifestations, de nombreux bénévoles (étudiants, travailleurs, familles, policiers et citoyens) se sont réunis pour nettoyer les lieux publics de Quito, comme action d’unité.

Les blessures sont encore ouvertes, de nombreux défis restent à relever par le gouvernement et les citoyens. Cependant, cette crise a montré un autre visage, le visage de l’espoir et de l’unité: les jeunes en ont été les protagonistes, ces jeunes qui ont mis en jeu leur vie pour les autres et qui ont tout donné, cherchant à construire une société nouvelle.

À cet égard, nous rapportons ce qui a été écrit par Mayumi Alta, une jeune femme autochtone, membre de l’organisation  Epaz , une entité équatorienne qui promeut la paix comme moyen de faire face aux problèmes de la violence, de la guerre et du manque de respect envers les autres. Nous pensons qu’il s’agit d’un document important pour faire connaître au monde la situation des communautés indigènes en Équateur:

Le pays a manifesté un mécontentement populaire à l’égard d’une série de mesures économiques, élaborées dans les bureaux de ceux qui nous gouvernent, et par des représentants qui ont imaginé l’applicabilité des théories économiques à la réalité nationale.

Dirigée par les peuples et nationalités de l’Équateur, la révolte d’octobre nous a enseigné beaucoup de choses:  une fierté exceptionnelle, des frustrations mêlées à  une profonde tristesse, des sentiments qui surgissent non seulement à cause de la situation sociopolitique à laquelle nous sommes confrontés, mais aussi à cause de la violence exercée par le gouvernement, qui persiste à nous appeler d’infiltrés, de “zanganos”, vandales ou terroristes.

Pendant plusieurs jours, les médias nationaux ont omis la réalité des manifestants. Les forces de sécurité ont violemment réprimé les personnes qu’elles avaient juré de proteger, alors que la situation empirait avec l’état d’urgence et le couvre-feu.

A l’opposé du scénario de la terreur, la solidarité de centaines de personnes se concentrait dans les universités (UPS, PUCE, UCE et UASB), transformées en lieux de refuge humanitaire. Pendant 7 jours, volontaires et institutions ont apporté la sécurité aux adultes, jeunes, enfants et personnes âgées. Ceux-ci faisaient partie des peuples et nationalités indigènes venus à Quito pour demander à être entendus, même sans garantie que le gouvernement tienne ses promesses de dialogue.

Chaque jour, avec conviction, mais aussi chargés d’incertitude, les gens affluaient dans les rues, aspirant à la fin du conflit, désir qui s’estompait à la tombée de la nuit ou lorsque l’humeur baissait à cause de la fatigue, des blessures, de la faim ou du manque de sa famille: celle-ci protestait chez elle, dans une autre ville.

Ce furent des jours difficiles, où des milliers de citoyens se sont engagés comme bénévoles dans les abris: ils cuisinaient pour des centaines de personnes, servaient de la nourriture, soignaient les blessures, receptionnaient les dons ou jouaient avec des enfants effrayés par l’explosion des grenades lacrymogènes, à quelques mètres.

Durant la journée, pleins d’énergie, les jeunes activistes travaillaient en divers endroits. Ils commençaient par les points d’accueil humanitaire et, pour terminer, c’était le nettoyage des lieux, théâtres du conflit. Aujourd’hui, nous admirons, analysons et même critiquons notre participation à ces journées de protestation. Personnellement, j’en souligne l’espoir d’une nouvelle génération qui s’engage à aider les personnes en difficulté et combattre les injustices sociales, surtout par des actes concrets qui furent spontanés.

Certains pensent que le pays a éclaté, d’autres qu’il était déjà divisé: les deux points de vue ont leur part de vérité, mais ce que nous devons faire maintenant, c’est guérir les blessures ouvertes, faire face à la crise identitaire, combattre les injustices sociales et apprendre à respecter les différences. La chose la plus importante est de comprendre que la vie est la chose la plus précieuse à protéger, que, tous,  nous devons défendre l’honneur de chaque individu, la dignité de chaque peuple et le droit de chaque citoyen d’exprimer et de manifester ses opinions.


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