United World Project

Workshop

Accueillir, protéger, intégrer

 
28 janvier 2020   |   , ,
 

Récits, peuples et migrations en Amérique latine. Du Pérou, on rapporte…

Entretien avec Silvano Roggero, par Paolo Balduzzi.

C’est une véritable évasion : celle du peuple vénézuélien représente la deuxième plus grande migration de masse au monde. Avec le début de la crise économique de 2014, en fait, environ 4 millions de personnes ont quitté ce pays d’Amérique du Sud. Beaucoup d’entre elles ont déménagé dans d’autres pays comme la Colombie, le Pérou, le Chili, l’Équateur, le Brésil, l’Argentine et la Bolivie, fuyant une crise politique et économique qui barre l’accès aux moyens de base pour survivre.

« Je dirai que la situation est dramatique !» – raconte Silvano Roggero, né au Venezuela d’immigrants italiens – « Plus de 800 mille Vénézuéliens sont arrivés et se sont arrêtés au Pérou. Le rythme a ralenti par rapport à quelques mois en arrière, alors que le pic était même de 5 000 passages de l’Équateur au Pérou en une seule journée ! »

Pendant de nombreuses années, Silvano a fait de la fraternité une raison de vivre. Avec une famille de vénézuéliens arrivés au Pérou et d’autres personnes des communautés du Mouvement Focolari à Lima et Arequipa, il a lancé un projet d’accompagnement aux vénézuéliens qui cherchent à construire une nouvelle vie au Pérou. Lui et ses collaborateurs sont des membres actifs du CIREMI (Comité interreligieux pour les réfugiés et les migrants) et travaillent avec le HCR et d’autres ONG, ainsi qu’avec certaines familles religieuses telles que les scalabriniens, les jésuites et les salésiens qui, au Pérou, gèrent des maisons-refuges pour les vénézuéliens.

Silvano, depuis ton quartier-général à Lima, que peux-tu nous dire sur ce phénomène ?

« Nous ne parlons pas désormais de migrations, mais de personnes qui fuient une situation très complexe, et lorsque tu t’échappes d’un endroit, la seule chose que tu fais, c’est de prendre le peu que tu as et de te lancer dans une nouvelle aventure. Par conséquent, ici au Pérou, tant de vénézuéliens arrivent avec peu de vêtements, surtout d’été, avec quelque chose à manger et juste l’argent pour le voyage par voie terrestre, qui dure une semaine : en cas de problème, le voyage s’interrompt ! »

Au Pérou, ici-même à Lima, la communauté s’active dans une expérience positive d’accueil des migrants. Peux-tu nous en dire plus ?

« Notre engagement a commencé le 10 décembre 2017, lorsqu’à notre connaissance est arrivée une première famille vénézuélienne ; nous leur avons remis quelques dizaines d’euros pour les tout premiers besoins. Depuis lors, nous avons été continuellement informés des personnes arrivant du Venezuela, qui nous demandaient une chose par-dessus tout : leur faire sentir la chaleur de la famille. Notre principal engagement au fil des années a été précisément celui-ci : accueillir, accompagner, rester proche, aider pour les besoins les plus urgents : nourriture, médicaments, vêtements, documents, transports, y compris les petites aides financières, apports qui résultaient de la communion de biens de certaines communautés et / ou dons d’amis, de parents. En deux ans, ce furent presque 20.000 Euros qui furent ainsi distribués ! »

Avec combien de personnes avez-vous été en contact ?

« Ce sont plus de 200 vénézuéliens concentrés principalement dans deux villes : Lima et Arequipa.  Parmi eux, deux femmes, une psychologue et une médecin, se sont mises à disposition pour apporter une aide professionnelle à l’accueil; des ateliers et des conférences ont été organisés sur la dépression, l’éloignement, la communication avec les membres de la famille, la nostalgie, comment lutter contre le froid, qui, dans certaines zones ici, est très intense… fondamentalement,  ce fut l’affaire de la communion des biens des communautés Focolari à Lima et Arequipa en ce qui concerne la fourniture de vêtements: c’était émouvant de voir comment, durant ces deux ans, les habits arrivaient, puis repartaient immédiatement ! Ne pouvait pas manquer non plus un groupe Whatsapp, où nous communiquions des nouvelles familiales, mais, aussi et surtout, celles concernant les documents nécessaires à régulariser la situation légale de séjour ; étaient également signalées des offres d’emploi dont nous avions connaissance, de même que les besoins de médicaments et d’hébergement ».

Nous parlons d’une première réception. Sur le front de l’intégration, que pourrais-tu nous dire ?

« Cela n’est pas facile.  Il y a eu et il y a encore de véritables épisodes de xénophobie, volontairement amplifiés par les médias. Il faut tenir compte du fait que le nombre de vénézuéliens venus au Pérou est élevé. L’intégration est également difficile par le fait qu’au fond ces migrants vivent avec l’idée et le rêve de retourner le plus tôt possible au Venezuela : ils se considèrent ainsi de passage, ce qui n’aide pas. Nous cherchons également à favoriser l’intégration dans des activités d’agrégation. Parfois, il suffit de petites choses, qui s’avèrent fondamentales, par ex. toujours préparer des plats typiques vénézuéliens, aux côtés des péruviens : la table, de fait, est toujours une excellente opportunité d’intégration. Dernièrement, les vénézuéliens ont chanté des chansons péruviennes et les péruviens des chansons vénézuéliennes ; s’il y a une fête pour les enfants, comme la dernière dédiée à Noël, les cadeaux sont pour tout le monde, sans distinction ».

Au niveau des relations …

« Notre engagement est aussi celui de faire prendre conscience à nos collègues, aux amis entourant la communauté, qu’il est bon d’accepter et d’accueillir ces frères plus nécessiteux. En général, les gens comprennent, surtout quand ils peuvent avoir des contacts directs avec des vénézuéliens et ainsi commencer à collaborer, à s’entraider, à être généreux, à se conseiller. C’est toujours la relation qui abat le mur de la peur, des préjugés et de l’indifférence ».

Quelles sont par contre les difficultés ?

« Une réalité difficile à accepter consiste en l’exploitation dans le monde du travail. Étant donné que le vénézuélien est connu pour avoir beaucoup besoin d’argent afin de subsister, il est généralement sous-payé, voire-même non payé ! Les situations d’habitat sont difficiles : ils vivent entassés dans une pièce ou dans de petits appartements, avec des parents / amis, mais aussi avec des inconnus. Nous avons notamment appris que 14 personnes vivaient ensemble dans un seul logement ! Et encore, quelqu’un sur le sol nu sans le moindre matelas. En raison du nombre d’habitants (environ 10 millions !) et du trafic chaotique à Lima, il leur faut parfois deux heures ou plus pour aller travailler et la même chose pour rentrer. Bref, ça n’est pas une vie facile, ils ont besoin de logement et de travail, des choses que, pour l’instant, nous ne parvenons pas à fournir ».

Quel est le premier objectif qu’ils se sont fixé ?

« Ils vivent et travaillent pour leur subsistance et surtout pour glaner un peu d’argent à envoyer aux membres de leur famille restés au Venezuela (généralement grands-parents et enfants, parfois épouses). Il est émouvant de voir que dès qu’ils rassemblent 10 à 20 euros, ils courent pour faire un versement ! La chose intéressante que nous remarquons est l’entraide entre les vénézuéliens : cela démontre que le « être pour l’autre » est quelque chose de présent dans l’ADN de ce peuple, qui, par sa nature, est vraiment généreux, ouvert, inclusif ».

Tu parlais de l’importance de la relation : peux-tu nous donner des exemples concrets ?

« Vivre la fraternité signifie ceci : donner une place prioritaire au fait de construire des relations, établir des liens, renforcer des communautés grâce auxquelles se dégagent la créativité, les idées et les solutions. Nous ne voulons pas faire de l’assistancialisme, il ne s’agit plus de « nous » et « eux », mais de « nous inclus », où même ceux qui viennent ici d’un autre pays ou d’une situation difficile ont une tâche, un talent à mettre en jeu pour les autres.  Notre médecin et notre psychologue en sont un exemple. Et puis, je pense à A.G., un vénézuélien que nous connaissons depuis environ un an et demi. Vu sa situation de santé, nous lui avons fourni une aide économique importante. À un moment donné, nous avons compris que, pour lui, ce serait une bonne chose de rentrer dans sa patrie, aux côtés de ses proches ; l’entourage de la famille l’aurait aidé, de manière décisive, à supporter les soins. Nous avons pris sur nous de financer un voyage cher, tout en nous confrontant avec les vénézuéliens qui sont ici, en les impliquant dans cette décision et mettant tous les éléments sur la table. En conclusion, cela a également attiré une certaine « Providence », qui nous a permis de supporter les coûts, et au-delà.

Je pense encore à Axel , un jeune lieutenant, éduqué militairement, qui n’avait même pas ses papiers : si la police l’avait arrêté, il aurait eu des ennuis. Il était impensable pour lui de prendre le chemin de la naturalisation, car cela eût été comme trahir sa patrie. Créer la fraternité, ça a signifié entrer dans son ressenti, dans sa pensée, sans forcer la cadence. Ce fut une expérience d’accueil et d’écoute qui ne le fit pas se sentir seul face à ce dilemme : puis il prit la décision de poursuivre les formalités de naturalisation. Voilà l’importance de relations positives : quelque chose de nouveau est né qui mène à des solutions inattendues ».


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