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« J’ai survécu à l’Holocauste grâce à l’espérance et aux rêves »

 
25 janvier 2022   |   , ,
 
Par Maddalena Maltese

Evi Blaikie était l’une des « enfants cachés » en Hongrie.  Aujourd’hui, elle continue de faire entendre sa voix pour défendre la paix et le soin.

Devenir l’arrière-grand-mère d’une adorable petite fille était à la fois une grande joie et une sorte de revanche pour Evi Blaikie, 82 ans, juive, hongroise et américaine. Evi est tellement de choses : interprète, styliste, militante écologiste, auteure, documentariste, enseignante et philanthrope. Mais elle est aussi une survivante de l’Holocauste.

« Les nazis ont enlevé ma famille et j’en ai construit une nouvelle. Ma vie, tout ce que j’ai fait, c’était « malgré » cette expérience, parce que nous n’aurions pas dû survivre. Nous n’aurions pas dû avoir une vie prospère, à cause de l’Holocauste, d’abord, et ensuite de l’orphelinat.

Alors qu’elle parle de sa lutte pour la survie, elle montre des photos de sa petite-fille nouveau-née, sans perdre son sourire et sa joie. Evi fait partie des enfants cachés qui ont réussi à survivre à l’extermination nazie, précisément parce qu’ils ont été cachés dans des caves et des greniers ou adoptés par des familles et des institutions chrétiennes avec de faux documents : ça leur a sauvé la vie, bien qu’au détriment de leur identité religieuse et de leurs coutumes.

Née à Paris de parents juifs, Evi a vu son père entrer dans la clandestinité en raison de ses convictions politiques après l’invasion allemande de 1940. Sa mère, sortie faire des courses, fut prise dans une rafle et envoyée dans un camp de travaux forcés. Saisissant la gravité de la situation, une tante décide de ramener Evi à Budapest, où vivaient d’autres parents. Sans papiers, elle est habillée en garçon par sa tante, qui la fait passer pour son fils, en vue de traverser les frontières.

« En janvier 1944, j’avais 5 ans, quand un jour j’ai entendu sonner à la porte. Mes proches ont ouvert et une femme très mince et petite est apparue devant nous. « Magda ! » – s’écria ma tante. C’était ma mère. Elle avait réussi à s’échapper du camp autrichien en marchant dans les bois pendant trois semaines, ne suivant que la lumière du soleil.

Tous les détails de cette journée, Evi les garde dans ses souvenirs. Après la rafle des juifs hongrois en mars 1944, sa mère décide de se réfugier dans la ferme d’un petit village. Evi, le cousin plus âgé Peter et Magda changent à nouveau de nom, religion et liens familiaux.

Le jour de la libération est l’une des scènes restées gravées dans la mémoire d’Evi. « C’était un hiver glacial. Notre ferme était sur la ligne de combat entre alliés, nazis et russes, bombes et projectiles tombaient sans arrêt. Le froid nous a forcés à rester au lit enveloppés dans les couvertures : les Allemands avaient pris le bois de chauffage.

Quand les soldats russes sont arrivés cette nuit-là, tenant les bougies décorées d’une église pour faire la lumière parce qu’ils n’avaient pas de torches, nous n’avions aucun langage commun pour expliquer notre situation, pour prouver que nous étions juifs. Ma mère a alors commencé à réciter la prière juive la plus importante, Shema Israel, et un officier russe lui a répondu. Ce passage de la Bible fut notre laissez-passer. »

Evi s’émotionne en repensant à ce moment-là.

Après la guerre, Magda et sa fille partent pour Paris, où Evi passe deux ans dans un orphelinat juif, jusqu’à ce qu’elles déménagent à Londres : l’enfant est à nouveau placée dans un orphelinat, parce que sa mère travaille dur et que son père est mort à Auschwitz.

« Les années qui ont suivi la guerre furent très difficiles pour moi, plus que la guerre elle-même. Durant celle-ci, j’avais toujours quelqu’un à côté de moi : ma mère, mon cousin, les autres réfugiés. À l’orphelinat, par contre, je me sentais abandonnée, il n’y avait personne pour s’occuper de moi », dit-elle.

Pourtant, au milieu de cet abandon, la petite Evi et les autres orphelins ressentent pour la première fois la valeur de l’espérance. « Nous étions tellement malheureux. Nous n’avions pas de parents avec nous, mais nous étions unis et avions nos rêves : alors nous nous mettions à inventer des histoires. Certains rêvaient de devenir des stars de cinéma, d’autres des médecins, et nous parlions sans cesse de ces rêves d’enfants. Nous allions faire beaucoup de choses, nous allions sortir d’ici, voyager… c’étaient nos contes de fées. Les rêves nous ont donné l’espoir et la force d’aller de l’avant jour après jour. Il n’y avait pas d’autre moyen.

Certains d’entre eux ont réalisé leur rêve, d’autres non. Certains sont ainsi devenus les protagonistes du documentaire « Remember Us : The Hungarian Hidden Children » (« Rappelons-nous : les Enfants Hongrois Cachés »), un récit choral de ces enfants qui ont aujourd’hui les cheveux blancs et retracent leur enfance en tant que survivants. Evi est l’une d’entre eux. Elle s’est laissé filmer dans les caves et les pièces sombres de Budapest où elle a vécu en fugitive avec des dizaines d’autres « invisibles ».

De l’orphelinat, la vie de cette enfant cachée change. Elle est admise dans un lycée prestigieux et y a obtenu une bourse d’études pour l’Université de Vienne, où elle a étudié comme interprète, une profession qui lui a permis de déménager au Venezuela et finalement aux États-Unis, en 1960.

Elle y épouse un catholique irlandais, et leurs trois enfants, cinq petits-enfants et leur nouvelle arrière-petite-fille deviennent le trésor le plus précieux de sa vie.

Evi a une volonté irrépressible de vivre. Elle aime visiter les musées, car « la créativité rend le monde meilleur et plus intéressant. Être en contact avec la créativité, cultiver, transformer des objets me donne l’espoir que les choses peuvent s’améliorer. Sans cet espoir, on meurt et il ne reste rien. »

Evi est également l’auteur du livre « Magda’s Daughter » – la Fille de Magda –, une autobiographie émouvante, histoire d’une vie passée dans l’ombre de l’exil.

En tant que retraitée, Evi s’est lancée dans une nouvelle carrière : elle enseigne l’anglais à des dizaines de migrants et réfugiés à l’ARNIC Center[1] de New York. Son passé lui permet de s’identifier à leur histoire et à leurs difficultés, mais aussi de leur inculquer le courage d’envisager le futur avec espoir.

Evi se consacre également à la construction d’un avenir de paix et d’harmonie en Israël, en soutenant « Hand to Hand » – « Main dans la main » –, une ONG qui paie les écoles publiques pour embaucher un enseignant palestinien, afin de permettre aux élèves de se retrouver ensemble, d’apprendre une nouvelle langue et de découvrir une nouvelle culture.

« Nous avons déjà impliqué sept écoles dans le projet, et j’ai personnellement vu des enfants palestiniens et israéliens grandir ensemble, comme germes d’une nouvelle saison », raconte fièrement Evi.

Mais le travail le plus important qu’elle fait maintenant, dit-elle, est de faire connaître son expérience de survivante de l’Holocauste dans les écoles, les universités et associations. « Il faut se souvenir de ce qui s’est passé. Nous ne sommes restés que quelques-uns à pouvoir le raconter. J’ai lu que 25% des Américains n’ont jamais entendu parler de l’Holocauste : je suis ici pour démontrer que c’est arrivé. »

Que dit-elle aux étudiants ? « Mon message est toujours le même : ayez conscience de ce qui se passe autour de vous, faites ce qui est juste et prenez soin. Ne vivez pas la vie comme si elle était seule vôtre. La vie est toujours pour les autres. Vous devez être conscient de ce qui se passe, vous ne pouvez pas tourner le dos, parce que, si vous le faites, un autre Holocauste peut se produire. C’est votre travail de protéger les autres et prendre soin d’eux. »

Y a-t-il de la place pour la foi après une expérience aussi tragique ? « Je suis profondément juive, mais disons que Dieu et moi avons quelques comptes à régler. »

[1] L’ARNIC Center est un programme d’accueil et d’intégration gratuit destiné aux immigrés aux États-Unis.

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