Communication et médias

Journalisme de paix : ce que c’est, pourquoi il est crucial en temps de guerre et comment il fait obstacle à la haine par l’information

by Edoardo Zaccagnini

Journalisme de paix : ce que c’est, pourquoi il est crucial en temps de guerre et comment il fait obstacle à la haine par l’information

Dans un contexte où les médias peuvent se transformer en armes, le journalisme de paix, basé sur les idées de Johan Galtung, est une pratique nécessaire. Elle n’ignore pas le conflit, mais en analyse les causes profondes, valorisant les réponses non violentes pour construire une « paix positive » durable. 

Nous avons souvent entendu dire que « dans la guerre, la vérité est la première victime », et nous savons bien à quelle mesure les médias jouent un rôle non négligeable dans les conflits, au point de devenir eux-mêmes armes ou munitions. Par contre, il existe aussi l’idée de médias fonctionnels à la paix, une vision consciente de l’information comme instrument de dialogue, d’harmonie entre peuples et nations.

Il existe, par exemple, le journalisme de paix : qu’est-ce et pourquoi est-il si important ? Celui qui l’a défini est le Norvégien Johan Galtung, en 1960, expliquant qu’il ne passe pas par la simplification, mais par la recherche de profondeur. Il ne peut faire abstraction de l’histoire de la guerre, mais s’y concentre avec une profusion de détails. Il l’analyse minutieusement, s’immerge dans les replis de ses causes, il en restitue le cadre de façon verticale et complète, dans le but d’explorer les possibles solutions.

Johan Galtung en parle également dans une interview publiée en 2018 sur le  site Vatican News.

Qu’est-ce que la transcendance et la paix positive ?

Du reste, la paix a toujours été au cœur du travail de Johan Galtung : en 1959, il fonda l’Institut international de Recherche pour la paix à Oslo, cinq ans plus tard, le Journal of Peace Research et, à la veille du nouveau millénaire, en 1998, Transcend : un réseau mondial pour la paix, le développement et la formation sur la « transcendance » en lien avec la résolution des conflits.

Qu’est-ce la transcendance ? Un parcours de changement, d’évolution, qui avance progressivement et dépasse la simple résolution d’un conflit, vers la recherche de solutions plus larges, profondes, sociales et humaines, accueillies favorablement par les deux parties, car elles leur sont véritablement fonctionnelles, même si elles diffèrent de leurs précédentes positions.

Photo by Valery Tenevoy - Unsplash
Photo by Valery Tenevoy – Unsplash

C’est la « paix positive » dont parle Galtung, c’est-à-dire celle qui, précisément par la transcendance, développe une relation authentique entre fronts opposés, avec de la compréhension mutuelle, de l’empathie, de la connaissance de cause, du respect. C’est ici que joue un rôle fondamental un journalisme édifiant, constructif, voire à même de faire opérer les tensions comme ressource, les façonnant en sources de développement bilatéral, en synergie réciproque, en vue de rapports plus solides et susceptibles de repousser d’éventuelles nouvelles tensions.

La simplification, donc, n’aide pas le journalisme de paix, ne lui est pas profitable, ni à la paix elle-même. Il en va de même d’une synthèse superficielle, sans parler de la propagande ou de l’asservissement du pouvoir par les communicateurs. Nous avons besoin d’une information stratifiée, détaillée, courageuse, coûteuse et obstinée pour conduire un conflit qui, de violent, armé et sanglant, évolue à politique, diplomatique, géré par le dialogue, et soit instrument de la paix.

Le journalisme de paix aujourd’hui

Aujourd’hui, le journalisme de paix se doit d’être un instrument d’espoir, une direction et une pratique possibles. Le 6 novembre dernier, fut organisée à Rome une conférence intitulée « Journalisme de paix, raconter la guerre, non l’alimenter ». De nombreuses réflexions intéressantes y furent présentées, à commencer par celle du journaliste du quotidien La Repubblica, Giampaolo Cadalanu.

Nous en extrayons quelques passages : « En contextes de tension, les moyens de communication – journaux, télévision, radio, sites web, réseaux sociaux et tout ce que la technologie numérique nous réserve – sont à coup sûr en condition de nuire. Ils peuvent attiser la haine, favoriser la déshumanisation, voire devenir des instruments de génocide. L’exemple le plus évident est Radio Milles Collines, l’émetteur rwandais ; il a gagné le surnom de Radio Odio lorsqu’en 1994 il a joué un rôle actif dans le génocide des Tutsis, avec des incitations au massacre d’une férocité illimitée. Il suffit toutefois de considérer le récit pour comprendre : dans les médias, le mécanisme qui alimente le ressentiment et l’aversion, creusant la distance entre les groupes d’êtres humains, trouve une application continue, souvent sans réelle prise de conscience de la part des journalistes ».

« L’information, cependant – poursuit Cadalanu, – peut aussi aider à avancer vers la paix : le « bon journalisme » est déjà, par lui-même, un instrument de paix. Fournir une information correcte, aussi impartiale qu’un journaliste puisse l’être, mais en même temps transparente, sans tons excessifs ni exaspérés, permet d’échapper aux mécanismes de peur, haine et diabolisation sur lesquels comptent ceux qui veulent le conflit ».

Photo by Valery Tenevoy - Unsplash
Photo by Valery Tenevoy – Unsplash

Réflexion sur la paix

Plus loin, Giampaolo Cadalanu aborde le concept de paix : « Nous partons d’une conscience que la paix n’est pas un phénomène statique, c’est-à-dire quelque chose qui subsiste une fois atteint, mais en revanche un processus en développement continu : ça doit donc être suivi et, si possible, cultivé. En tant que premier modèle possible de lecture, nous allons essayer d’adopter une vision binaire :  journalisme de guerre/journalisme de paix ».

« Le premier part d’une vision du conflit comme d’un jeu qui ramène à zéro, où l’on gagne ou bien l’on perd : le journalisme ne sert qu’à annoncer les conséquences de la violence. Le second en favorise l’analyse, en examine les causes, présente de possibles solutions non violentes, même au prix de tourner le dos à l’idée traditionnelle du journalisme comme témoignage détaché et objectif ».

« Le journalisme de guerre fait souvent le choix d’un camp et risque de voir les ‘autres’ uniquement comme un problème : il finit par en accepter la déshumanisation et contribuer à construire de l’antagonisme, justement à n’examiner que les péchés de la partie adverse. Il ne cherche des solutions que sur le champ de bataille, remontant geste initial de l’affrontement et non à ses racines historiques, et ne faisant référence qu’à la vision des élites ».

Pour le « journalisme de paix », par contre, le problème se trouve dans la guerre, non chez les «autres». Ainsi donc, le compte-rendu de la guerre ne suffit pas, car le conflit n’est pas nécessairement synonyme de confrontation violente, mais peut être défini au sens large comme « une relation entre deux ou plusieurs parties qui ont – ou pensent avoir – des objectifs incompatibles ». Pour cette raison, il faut envisager et valoriser les possibles réponses non violentes au conflit, même si cela implique un engagement encore plus grand et l’abandon d’une approche, que l’on feint « froide », équidistante des motifs des belligérants.

Photo by Stijn Swinnen - Unsplash

Photo by Stijn Swinnen – Unsplash

L’importance d’un journalisme de paix

Dans son intervention, Giampaolo Cadalanu propose d’autres points-de-vue intéressants, mais, déjà à partir de ceux précités, l’on met en évidence la possibilité du journalisme de paix et son utilité pour une paix profonde, authentique, durable. C’est cette paix dont parle le pape François lorsqu’il dit : « La paix n’est pas seulement l’absence de guerre, mais une condition générale dans laquelle la personne humaine est en harmonie avec elle-même, en harmonie avec la nature et avec les autres ».

L’écriture aussi, soit construire un récit à travers des images, rencontrer quelqu’un pour une interview, en bref, chaque acte de communication, doit prendre en compte le bien commun, le bien de chaque être humain, ce qui coïncide toujours avec la paix. Voilà une condition nécessaire à toute forme de développement : humain, mais non seulement.

Photo by Kenny Eliason - Unsplash
Photo by Kenny Eliason – Unsplash