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« La communication est relation » – Entretien avec le journaliste et écrivain Michele Zanzucchi

Entretien sur la communication avec Michele Zanzucchi, journaliste et écrivain, ancien directeur de Città Nuova, professeur de communication à l’Institut universitaire Sophia et à l’Université pontificale Grégorienne, auteur d’une quarantaine d’ouvrages.
Poursuivant notre voyage sur le thème des médias et de la communication, nous avons rencontré le journaliste, écrivain et professeur de sciences de la communication, Michele Zanzucchi, durant des années directeur de Città Nuova. Nous sommes partis d’une réflexion sur notre époque difficile, avec une situation géopolitique très tendue, une société très médiatisée et une technologie des plus sophistiquées. La première question fut donc la suivante :
Quel rôle joue la communication dans ce contexte complexe ? Quelle fonction peut-elle avoir dans la construction du bien public ?
Dans ses deux acceptions – communication et information -, je crois que la communication a un rôle de plus en plus important, parfois de présence décisive. Un adjectif chuchoté sur les réseaux sociaux ou dans un magazine en ligne peut faire le tour du monde en un clin d’œil, déclencher à l’improviste des maux de tête chez les politiciens de service, ouvrir des gouffres de polarisation divisant le monde entre bons et méchants. Mais elle peut aussi raccommoder des blessures ouvertes depuis longtemps, donner un sens aux choses, ouvrir des solutions inattendues à des problèmes complexes. La communication interpersonnelle, exaltée par les réseaux sociaux, et l’information médiatique peuvent être des facteurs de construction du bien commun ou, au contraire, de destruction de la vie en société. Cela dépend de nombreux éléments, parce que nous vivons dans une société complexe qui exige des réponses complexes. Mais je mettrais l’accent sur le rôle de l’informateur, qu’il soit professionnel ou « geek » sur les réseaux sociaux : la personne qui communique et informe peut déterminer dans quelle mesure l’information peut mener au bien ou au mal. La responsabilité, au moins en partie, est sienne.
À propos de technologie, nous vivons aujourd’hui dans une situation contradictoire : d’une part, nous avons des caméras et des microphones partout, par lesquels, par rapport au passé, nous avons une capacité bien supérieure à recueillir des documents aux quatre coins du monde. D’un autre côté, cependant, ce type de démocratie de la communication conduit à une capacité dangereuse de manipuler l’information, également par le biais de ce que nous pourrions appeler démocratie de la technologie. Dans quelle mesure est-il difficile de s’y retrouver sur ce terrain insidieux ?
Ce n’est pas facile, et l’individu journaliste, l’individu informateur ne peut pas faire grand-chose pour contrer les lourds conditionnements dont il est l’objet. L’excès de documentation, le data flood, la submersion de données doit être gérée avec attention : ce n’est pas pour rien qu’est en augmentation le nombre de professionnels de la gestion des données. À l’ère de l’intelligence artificielle, de la puissance de calcul stratosphérique des ordinateurs, d’une information qui semble glisser des mains des professionnels eux-mêmes, la solution est toujours seule et unique : travailler en groupe, fédérer les compétences, utiliser sa capacité unique et irremplaçable à informer en se mettant à disposition de la communauté qui informe. De la part des utilisateurs, je pense qu’il est essentiel d’avoir confiance en un journaliste, dans un média en particulier, car, seul, il est difficile de s’orienter. Mais il faut aussi être attentif, diversifier ses sources d’information, afin de ne pas être victime de l’erreur trompeuse d’un informateur unique.

Aujourd’hui, alors que l’entier de la communication est en train de changer, de quoi le journaliste est-il garant ? En quoi diffère-t-il d’autres communicateurs ?
Le journaliste est celui qui transforme un fait en une nouvelle. Son pouvoir réside dans le fait de donner de la notoriété à ce qui se passe. Ce faisant, il choisit ce qui doit être notoire et ce qui, au contraire, restera dans l’oubli. Dans ce discernement d’importance vitale pour l’information, le journaliste doit mettre en œuvre toutes les vérifications des sources qui puissent donner équilibre et véracité à ce qu’il divulgue ; ce n’est toutefois pas suffisant : il doit aussi en trouver confirmation dans le corps rédactionnel avec lequel il interagit. Le vrai journaliste a appris les outils de vérification, de rédaction et de diffusion de l’information, ce dont ne peut disposer un citoyen ordinaire. Le journalisme citoyen, qui a son importance et met au défi les vrais journalistes, ne pourra jamais se substituer complètement au journaliste, surtout dans les trois fonctions que j’ai évoquées : vérification, rédaction et diffusion. Les journalistes citoyens sont plutôt des sources, à vérifier, que de vrais journalistes.
Pour le journaliste, les points de départ sont toujours la réalité et la recherche de la vérité. Mais, à partir de ces deux principes, dans quelle mesure a-t-il aussi la tâche d’œuvrer pour un monde meilleur, pour l’édification de valeurs telles que la paix et la fraternité entre les peuples ?
Qu’il le veuille ou non, qu’il le fasse plus ou moins intentionnellement, le journaliste reste un opinion maker, un créateur d’opinion publique. Il est vrai, on enseignait dans l’école de journalisme anglo-saxonne que la personne du journaliste devait toujours disparaître derrière l’information. Pendant longtemps, de nombreux organes de presse anglo-saxons – The Economist le fait encore, au moins partiellement – omettaient le nom même du journaliste auteur de la nouvelle ou de l’article, afin d’en assurer l’objectivité. Aujourd’hui, cependant, l’on s’est convaincu que le journaliste joue un rôle dans ce qu’il rapporte, ne serait-ce qu’en raison du choix du langage, ou en raison de l’omission de telle ou telle source. Je crois que le patrimoine humain détenu par un journaliste doit entrer dans ses écrits, sans le cacher. Si un journaliste est chrétien, il doit le dire, son « intention », comme l’a dit Kapuściński, émergera de toute façon et sera objective. J’écris longuement sur tout cela dans un livre qui vient de paraître, Manuale di giornalismo dialogico (Città Nuova, Rome, 2025).
Notre société est aussi celle des images. Cet instrument de la communication semble avoir dépassé celui des mots. Quelle originalité l’écrit conserve-t-il ? Quel pouvoir continue-t-il d’avoir par rapport à l’image ? Quelle est l’unicité que celle-ci ne pourra jamais lui enlever ?
L’image est elle-même mot. C’est-à-dire quelle exprime quelque chose. Ne jamais l’oublier ! Mais, très souvent, l’image peut être trompeuse, elle peut l’être plus que la parole écrite, parce qu’elle agit sur notre cerveau, non seulement sur la partie rationnelle, mais aussi sur la partie émotive. Souvent nous regardons pendant deux minutes à la TV un quelconque reportage et nous pensons tout savoir, parce que l’image est beaucoup plus évidente que le mot, parce qu’elle fait appel à des facultés humaines que la lecture ne mobilise pas. Mais la tromperie est à nos portes, les actuels deepfakes, les images créées par l’IA risquent de nous emmener dans un monde où le faux est la norme. Au sujet d’un événement, l’écriture peut donner une vision beaucoup plus ample que les images. Les mots ont le mérite de vous amener à entrer profondément dans une information, à en décortiquer le sens, bien plus que les images.
Dans ton travail, tu as eu l’occasion d’être envoyé au Kurdistan, d’avoir vécu longtemps au Liban, de voyager dans plusieurs pays d’Asie centrale. Quelle est l’importance pour le journaliste, et plus généralement pour le communicant, d’aller sur place, de devenir lui-même un instrument physique de communication, à une époque où, en fait, la technologie nous permet de « voyager » tout en restant chez soi ?
Je suis un journaliste à l’ancienne, j’ai visité les trois quarts des États aujourd’hui reconnus par l’ONU, j’ai écrit des dizaines de livres de reportage. Dans le système journalistique, de plus en plus de gens restent devant un ordinateur pour travailler, comme on dit, au desk. Selon moi, s’il en a l’occasion, le journaliste doit voir, doit se rendre sur le lieu d’un événement, parce que les cinq sens mis en mouvement – guidés par l’intelligence – nous permettent de mieux comprendre, de saisir des détails qui expliquent le tout, de « sentir » les témoins, de recueillir toujours de nouveaux éléments de compréhension. Voyager, voir, constater, vérifier, comprendre. Le journalisme qui reste devant un ordinateur n’est jamais tout à fait du journalisme.

Ton travail n’est pas seulement celui de journaliste, mais aussi d’écrivain. Comment est-ce avec le livre, quelle est sa fonction à l’heure où Internet nous oblige à consommer rapidement les informations ? Quelle force réside dans le « long terme » du livre ?
Le passage du journalisme à l’écriture de livres est naturel, si l’on veut comprendre les choses. Cela requiert du temps, donc tout le monde ne peut pas se le permettre. Mais c’est une expérience qui, pour le journaliste, est comme une réalisation de ses aspirations, ne serait-ce que parce qu’il a plus d’espace pour s’expliquer. Le livre est apparemment en crise, surtout sous sa forme papier, mais il restera un phare pour le journalisme. Qui veut vraiment comprendre les choses devrait se mettre à lire. Plus que les articles, le livre permet de s’identifier à l’écrivain, d’en utiliser ses yeux, son toucher, ses sens et son intelligence pour comprendre un brin de réalité. Bien sûr, avec un livre, le journaliste se retrouve aussi à voir multipliée sa responsabilité éthique.
Dans quelle mesure la communication fait-elle partie de l’échange, de la rencontre avec l’autre ? Par contre, quel est le danger qu’elle devienne esclave du contraire — de la fermeture, de la division – ?
La communication est une relation. Même Dieu est Dieu parce qu’il se communique, parce qu’il se donne lui-même à chacun de nous. Bien sûr, la communication peut être bonne ou mauvaise, constructive ou destructrice. Nous, les humains, nous le sommes parce que nous communiquons. Chiara Lubich l’a également mentionné comme l’un de ses quatre fondements de la communication. Les trois autres, et c’est par là que je conclus, sont des corollaires de cette intuition fondamentale : le communicateur doit « se faire un » avec le lecteur, avec l’interlocuteur, par l’écriture- et les sources-mêmes ; ensuite, il ne doit jamais céder au compromis de considérer le média plus important que la personne ; enfin, quatrième élément d’une communication pour l’unité, la communication doit être positive, constructive.



