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« Strade Maestre »: quand l’école se met en chemin – Rencontre avec Niccolò Gori Sassoli

 
25 avril 2025   |   Italie, Écologie intégrale, Strade Maestre
 
Strade Maestre_Blog - 153. Strade Maestre a Fa la Cosa Giusta – Milano
Strade Maestre_Blog – 153. Strade Maestre a Fa la Cosa Giusta – Milano

Un projet italien réinvente l’éducation : cours en plein air, randonnées et apprentissage par l’expérience pour les adolescents qui traversent le pays à pied pendant une année scolaire.

« Strade maestre » (trad. : Routes Enseignantes-) est un projet jeune, en devenir, mais déjà très intéressant. Il met en relation l’école avec le chemin, le voyage, l’écologie, l’activité physique. Pendant un an, un groupe de jeunes vit une expérience scolaire particulière : en dehors de la salle de classe et des cours « en frontal ». Niccoló Gori Sassoli, l’un des fondateurs, nous dit tout.

Comment est née l’idée de « Strade Maestre » ?

De la rencontre, en 2021, entre cinq personnes qui œuvrent au croisement entre le monde des chemins et celui de l’éducation, aux intersections entre randonnée et connaissance du pays, éducation environnementale et innovation sociale, enseignement et thérapie de la montagne, parcours judiciaires et écoles d’avant-garde. Avec moi, qui travaille dans le domaine de la communication associative, il y a Marcello Paolocci, Marco Saverio Loperfido (tous deux guides en environnement et de randonnée), Roberta Cortella (enseignante et documentariste) et Emilio Ruffolo (psychothérapeute).

Strade Maestre_Blog - 171. Strade Maestre a Firenze - dove passano le itale glorie
Strade Maestre_Blog – 171. Strade Maestre a Firenze – dove passano le itale glorie

Roberta et Marco avaient travaillé ensemble (la première en tant que réalisatrice et le second en tant que guide) dans la série documentaire Boez (2019, sur Raiplay) : trois mois le long de la Via Francigena pour un chemin de réhabilitation procuré aux délinquants juvéniles.

Marco, un ami, et Marcello, en discutant, se sont demandé si un tel projet pouvait s’appliquer au niveau éducatif et scolaire. Il m’ont contacté alors que j’étais en France avec ma femme et mes filles (alors âgées de 7 et 10 ans) pour un voyage d’une année scolaire de la Calabre à l’Andalousie.

Comment as-tu réagi ?

Avec enthousiasme, et impliquant Emilio Ruffolo, psychologue, expert en pédagogie et en éducation, rencontré lors de ce voyage : la première étape était à Rende, en Calabre, dans l’école de plein air Castalia, fondée par sa femme et lui.

Quintette au complet ! Et ensuite ?

Nous avons créé la coopérative sociale CamminaMenti : l’instrument administratif et de gestion pour donner corps à l’idée. En septembre 2024 nous sommes partis pour cette aventure dont je m’occupe, en particulier, de la communication, de l’organisation et des relations.

Comment avez-vous choisi les jeunes ?            

Avec, en quelque sorte, un appel alimenté par le bouche-à-oreille. À partir des entretiens en ligne avec les familles intéressées, fut formé un groupe de huit jeunes. Pour l’année prochaine, nous avons reçu plus d’une centaine de candidatures : nous prévoyons constituer deux classes d’une dizaine de jeunes. Nous espérons trouver les ressources économiques pour que ces jeunes puissent partir quelles que soient les conditions économiques de leur famille. Pour l’avenir, nous espérons que l’expérience soit reproduite, aussi en dehors d’Italie.

En quoi cette expérience est-elle écologique ?

Être écologique signifie comprendre que l’humanité n’est pas indépendante du reste de la nature, que nous vivons dans un système complexe, un écosystème avec lequel nous sommes en lien par des rapports d’interdépendance dynamiques, qui exigent des soins, un équilibre entre donner et recevoir. Pendant longtemps, nous avons omis de nous en souvenir. Aujourd’hui, nous sommes plus conscients des conséquences de ce manquement.

Quelle est l’importance du mot « chemin » pour Strade Maestre ?

La marche réactive l’essentiel en nous, nous fait réfléchir sur notre intelligence, nos sentiments, notre corps et aussi sur notre dimension spirituelle. Le concept du chemin est central au projet, tout comme faire partie d’un groupe et rechercher l’essentialité et la profondeur en union avec la légèreté. Faire un long voyage vous rend conscient des réels besoins : ce qu’il est opportun de porter sur ses épaules, comment gérer ses énergies, ses équilibres, mieux se connaître soi-même – jambes, yeux, esprit, cœur, relations – en fonction du monde que nous rencontrons au long de la route.

Et comment tout cela se relie-t-il à l’école ?

Faire l’école en chemin permet de s’affranchir des schémas que l’école habituellement impose : le cours « frontal » à l’intérieur d’une salle, les coups de cloche, la fragmentation entre les matières. Voyager permet de relier les notions acquises avec les lieux traversés et le vécu quotidien : des emplettes à faire à la relation avec qui t’héberge. En route, l’histoire, la géographie, la littérature, la science sont comprises dans leur interaction : à Pompéi, on peut parler de volcanologie et d’histoire romaine. Cette année, les jeunes étaient sur l’Etna et sur les lieux de Pirandello en Sicile, sur ceux de Dante à Florence (ici la carte de l’itinéraire de la première année scolaire en chemin). Être dans le monde ouvre à de continuelles expériences pratiques et à un travail sur l’autonomie et sur le groupe. Il éduque à la réciprocité en une époque hautement individualiste, à faire partie d’un écosystème dans un sens intégral, social, humain.

Strade Maestre_Blog - 150. Rafting sul fiume Ombrone
Strade Maestre_Blog – 150. Rafting sul fiume Ombrone

En quel rapport se trouvent nature et culture dans votre parcours ?

Comme dans la vie, il n’y a pas de séparation. Notre culture dérive de la nature. D’où le travail sur l’interdisciplinarité, en se rappelant que de la nature nous ne sommes pas maîtres, mais gardiens et dépositaires.

Laudato Si’ nous le rappelle aussi.

Nous nous sentons proches des messages du pape François et d’autres spiritualités, de même qu’avec la science elle-même, qui comprend l’importance de certaines interconnexions. La marche favorise la transcendance : à l’intérieur d’une forêt, c’est plus facile que dans une boîte en béton.

Comment les enseignants sont-ils choisis ?

En cette première année, ce sont trois des cinq fondateurs du projet. Par l’attention des médias et du monde de l’éducation, nous avons reçu des dizaines de demandes d’enseignants, d’éducateurs, de scouts: ils désirent partir avec nous ou organiser des rencontres. Au cours de cette première année, nous en avons déjà eues plusieurs avec ces personnes ; à l’avenir, nous aimerions partager ces contacts de manière générative, peut-être en créant un répertoire ouvert. Avec la coopérative CamminaMenti, nous travaillons à construire un réseau d’enseignants, de guides, d’éducateurs, d’associations et de lieux de séjour qui, à différents niveaux, peuvent faire croître la proposition de Strade Maestre. Nous sommes ouverts à l’écoute. Sur notre site web, il y a une section dédiée à qui souhaite postuler en tant que guide-enseignant : en quelques mois, plus de 150 personnes nous ont contactés. Avec certaines d’entre elles, nous travaillons à planifier la prochaine année de Strade Maestre et d’autres projets d’éducation en chemin. Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de répondre à tout le monde : nous sommes une réalisation jeune et petite, avec l’espoir que les réseaux dont nous faisons partie accueillent ce ferment.

À la recherche d’autres fructueuses relations

Nous sommes ouverts aux collaborations, nous mettons notre expérience à disposition dans une perspective open source. Nous sommes en discussion avec divers organismes d’éducation : fondations et associations actives au niveau national telles que le CAI, le Club alpin italien, l’AIGAE (Association des guides de randonnée environnementaux), l’AGESCI (Association des guides et scouts catholiques italiens), l’INDIRE (Institut national de documentation et d’innovation de la recherche pédagogique dans les écoles italiennes, qui fait partie du ministère italien de l’Instruction).

Quel est l’âge de vos élèves pour l’année en cours et la suivante ?

Ce sont des jeunes dans les trois dernières années du lycée, entre 16 et 18 ans.

 

Est-ce pour eux l’équivalent d’une année scolaire normale ?

Dans cette sorte d’« année zéro », les jeunes se retrouvent en statut d’enseignement parental : leurs parents assument la responsabilité de les éduquer et la délèguent en fait à notre coopérative. À la fin de l’année, ils passeront un examen en privé, selon un programme convenu avec les écoles d’origine. À moyen terme, nous aimerions que l’année « en chemin » soit assimilée à une année d’école à l’étranger. À long terme, nous espérons qu’eux aussi, les enseignants engagés dans le système éducatif public italien, pourront « être détachés » pour effectuer une année de service en chemin, comme c’est le cas, par exemple, pour qui travaille dans les prisons ou les hôpitaux.

Est-il possible qu’au cours du voyage, aux rencontres et lieux prévus s’en ajoutent d’autres  ?

Certainement ! Le programme est en cours d’élaboration : nous prenons contact avec des lieux et des personnes et planifions activités et rencontres, mais nous sommes ouverts à d’éventuels détours. L’itinéraire alterne des jours de marche avec, chaque soir, des changements de lieu en période de résidence. Il y a un canevas, un plan avec les lieux d’hébergement  (associations, paroisses, écoles, offices de tourisme, municipalités), mais il peut arriver qu’un soir le groupe doive changer de programme. Il en va de même pour l’enseignement : en ce moment approchant les examens, les élèves se concentrent sur l’étude au sens classique, avec les livres, par rapport aux phases où presque tous les jours nous avons eu des réunions aux endroits traversés.

Comment se déroulent les cours ?

Les cours de matière principale se déroulent en présence, avec les guides-enseignants qui accompagnent le groupe en chemin, chacun avec son propre domaine d’enseignement. Ensuite, il y a des guides-enseignants de certaines matières spécifiques, avec une fonction de tuteurs exercée principalement à distance, en ligne, vu que les participants suivent différents secteurs : lycée scientifique, linguistique, artistique, sciences humaines, institut agricole.

Tout cela me semble très intéressant, mais aussi éprouvant.

C’est définitivement le cas : il n’est pas facile de vivre ensemble longtemps, en petit groupe, parfois dans des conditions spartiates. Il y a toutefois une liberté, pour les jeunes et pour les guides, de rechercher leur propre espace, mais aussi de suspendre le voyage pendant quelques jours et rentrer chez eux. C’est déjà arrivé, comme il arrivait que leurs parents venaient leur rendre visite, ou que nous passions chez eux. Il y a de la flexibilité.

Strade Maestre_Blog - 144. Tempo di esami per Strade Maestre!
Strade Maestre_Blog – 144. Tempo di esami per Strade Maestre!

Je lis sur votre site : « Personne n’éduque personne, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble, avec la médiation du monde ». D’accord de développer cette phrase ?

C’est une phrase du pédagogue Paulo Freire. Cela signifie que nous vivons en relation avec les autres, dans le monde. C’est à chacun d’entre nous, selon son jugement et ses interactions, de trouver la route pour s’éduquer. Sur le chemin, le parcours éducatif concerne à la fois les jeunes et les adultes accompagnateurs : ces derniers ont eux aussi une grande opportunité de grandir, en plus de la responsabilité d’orienter des plus jeunes.

Les plus belles leçons de cette première année ?

Aux dires des groupes en chemin, il y en a beaucoup. J’en ai vécu quelques-unes, alors que je m’implique surtout dans l’organisation à distance et ne participe que sporadiquement au voyage. Je voudrais souligner la variété des expériences vécues et la richesse de leurs contrastes : de la cantine Caritas à Matera aux nuits à l’hôtel Palazzo Caracciolo à Naples, où le propriétaire, ayant pris connaissance du projet, a invité les jeunes à séjourner. Des refuges dans les Apennins et des maisons d’hôtes dans les petites villes aux maisons d’amis et de connaissances dans les grandes villes.

« Strade Maestre » est-il un projet unique ou y en a-t-il des similaires au sein de CamminaMenti ?

Nous travaillons sur des propositions de chemins plus courts, de trois mois, pour les jeunes qui, durant une année, ne doivent pas aller à l’école, mais chercher leur orientation dans la vie, peut-être après l’obtention de leur diplôme ou dans une période d’incertitude, pour apprendre à se connaître soi-même et à connaître le monde d’un point de vue inédit, à pied, sac au dos.


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