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Calciosociale : changer les règles du football pour modifier celles du monde

 
7 novembre 2025   |   Italie, Inclusion sociale, calciosociale
 
Calciosociale
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Massimo Vallati est le président de “Calciosociale” : une fleur parmi le béton de l’une des banlieues romaines les plus difficiles, le Corviale. Un modèle, une révolution. Massimo nous a raconté cette belle histoire de renaissance et d’espérance.

Calciosociale est bien plus qu’un projet sportif : c’est une révolution née au cœur du quartier romain de Corviale, où le football devient un outil d’inclusion, de légalité et de renaissance. Conçu par Massimo Vallati, le Calciosociale a transformé un terrain abandonné en « Stade des Miracles », un lieu où hommes et femmes, enfants et personnes âgées, personnes avec et sans handicap jouent ensemble pour apprendre à protéger l’autre.

Depuis vingt ans, « Calciosociale »  a montré que changer les règles du football peut vraiment aider à changer celles du monde.

Comment est né le Calciosociale ?

Avec l’idée de changer les règles du football afin de modifier celles du monde.

De quelle manière?

Dès l’enfance, dans les années quatre-vingt, j’ai grandi à « pain et football » !, avec les figurines Panini, l’école de football et le stade. Le ballon, cependant, commençait à devenir le grand phénomène social de l’actualité, avec la pourriture parmi la beauté qui remplissait mes yeux. En 1985, il y eut le carnage du Heysel : la mort en direct à la télé pour un match! Dans les gradins, les gens se bagarraient, il y avait de l’extrémisme politique. Puis, la drogue faisait son entrée, autour des petits terrains apparaissaient des trafiquants assoiffés de gain.

Tu y as ressenti un conflit intérieur ?

…qui m’a conduit à la décision d’arrêter le football. Pendant de nombreuses années, je ne l’ai suivi sous aucune forme, jusqu’à ce qu’en tant que catéchiste j’assiste à un tournoi paroissial.

Qu’as-tu remarqué ?

…que régnait la même règle que dans le monde extérieur : la domination du fort sur le faible.

Ce fut une étincelle ?

J’allais voir le curé de la paroisse, pour lui expliquer que je voulais composer des règles différentes et organiser un tournoi de foot. Il accepta : nous avons lancé l’aventure, le défi du football social. D’abord quatre, puis huit, seize, de nombreuses équipes avec le besoin d’un espace dans lequel développer le projet de la meilleure façon. C’était entre 2005 et 2006.

Quand avez-vous réussi à construire votre propre terrain de foot?

Ce fut une longue bataille, de citoyenneté, croissance et renaissance. Nous avons tenté de le faire dans le quartier de Monteverde, puis nous sommes arrivés au Corviale : une zone très difficile de Rome. Nous y avons trouvé un espace abandonné, détruit, géré par des criminels. Nous avons commencé à y construire ce que nous irions appelé le « Stade des Miracles ».

L’avez-vous fait seuls?

Nous avons démarré une collecte de fonds, en plus de recevoir la promesse d’un financement public, qui n’est jamais arrivé. Nous nous sommes retrouvés à travailler de manière autogérée, seuls, et à protéger cet espace, jusqu’à y dormir la nuit pour éviter les squats.

Quel était votre rapport avec le Corviale ?

Le projet « Calciosociale » s’est articulé parallèlement à du soutien aux habitants du Corviale. Avant même de parvenir à créer notre propre espace, nous avons emmené les jeunes du quartier vivre l’expérience du football social à travers Rome.

Quand avez-vous réussi à installer le stade ?

En 2014, après de nombreux et gros efforts. Nous l’avons inauguré avec un événement extraordinaire : l’exposition de la Coupe du Monde, avant le championnat du monde au Brésil. Nous fumes reconnus pour la manière dont nous avions réussi à transformer des choses vouées à la dégradation.

Qu’est-ce que cela signifiait d’avoir votre propre stade ?

Une fois réalisé le « Stade des Miracles » furent lancées des activités orientées sur deux axes: apporter le football social dans toute l’Italie et offrir des possibilités de changement à la zone du Corviale, le stade des miracles agissant comme moteur pour la renaissance du quartier.

Calciosociale
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Et ce fut le cas ?

Oui, car, grâce au football social, sont arrivés des financements de projets en faveur du quartier, pour des bâtiments et des réaménagements.

Quelles sont les règles du Calciosociale ?

Elles visent toutes l’apprentissage de valeurs : la première est que peuvent jouer ensemble les hommes et les femmes, les personnes âgées et les enfants de 9 à 90 ans, les personnes handicapées et les personnes valides. L’objectif est de valoriser les différences par l’inclusion. Chaque équipe a le même potentiel de victoire avec un coefficient attribué à chaque joueur. Contrairement au football ordinaire, où gagne le plus fort économiquement, dans le football social « seul gagne qui protège ».

C’est devenu votre slogan, n’est-ce pas ?

Gagne qui protège l’autre, cultive son potentiel, soit celui qui valorise ses propres compétences, dans un environnement de justice et coopération.

Y a-t-il un capitaine d’équipe ?

Le responsable de l’équipe est un éducateur, attentif à favoriser l’épanouissement personnel de chacun-e. Il prend les décisions en collaboration avec les autres intervenants, dont l’éducateur adjoint et le jeune capitaine. L’objectif est de développer le leadership et le coaching.

Qui arbitre les matchs ?

Il n’y a pas d’arbitre. S’il y a une faute, les équipes doivent se mettre d’accord pour reprendre le jeu. C’est un grand exercice de démocratie, entraînant le sens des responsabilités. Si l’on gagne ou perd, ce n’est pas à cause de l’arbitre : dans le football ordinaire, celui-ci fonctionne souvent comme bouc émissaire.

D’autres règles ?

Aucun joueur ne peut marquer plus de trois buts par match, afin d’encourager l’attention à l’autre. C’est bien de marquer, mais c’est aussi bien de laisser les autres marquer. Il n’y a pas de banc, tout le monde est titulaire, avec des changements continus toutes les cinq minutes, pour renforcer le concept de justice.

Combien de personnes jouent ?

Huit, sur un terrain de minifootball : un espace adapté à certaines tranches d’âge et aux personnes en situation de handicap : idéal pour développer la pédagogie du football social !

D’autres moments marquants ?

Au début et à la fin de chaque match, il y a un moment de partage, en cercle, au centre du terrain. C’est une étape importante, faite de communication et d’écoute. Chacun-e peut s’exprimer envers les autres. Nous représentons vraiment quelque chose ensemble avec les autres : c’est là un autre point important du football social.

Y a-t-il une troisième « mi-temps » ?

Les matchs de Calciosociale ne se jouent pas seulement sur le terrain : les équipes continuent de se défier en des activités communautaires, accumulant ainsi des points en vue du classement final : cela développe un grand sens civique et des valeurs telles que l’honnêteté, la légalité, l’empathie. Près du « Stade des Miracles », il y avait une décharge illégale que nous avons réaménagée avec les compétitions hors-terrain. Nous pensons que, si, même sous le pouvoir de la criminalité, un jeune participe à la renaissance d’une surface dégradée, est mise en lui une semence très importante : si elle est soutenue par d’autres mesures, elle est susceptible de maintenir en lui ce que nous avons à cœur : l’aider à devenir agent de changement.

Quel est l’âge du Calciosociale ?

Vingt ans, dont seize au Corviale. Vingt années faites de récompenses internationales, de thèses universitaires sur notre expérience, ainsi que de projets en lien avec le football : alimentation, environnement, anti-mafia sociale. Sans oublier l’expérience du « divan social » où les jeunes, chaque semaine, avec éducateurs et animateurs, abordent un thème déterminé. Vingt années au cours desquelles, toujours pour combattre le cancer du football moderne, est né le Miracoli Football Club, avec l’inauguration du terrain de football à 11 joueurs, en présence du président de la République italienne, Sergio Mattarella.

Une école de football ?

Oui, la première au monde avec la méthodologie Calciosociale. Une école de football comme centre d’entraînement pour la vie : former le jeune à 360 degrés.

Un chapitre récent du Calciosociale fut écrit il y a quelques jours, avec la tribune anti-mafia. De quoi s’agit-il ?

Ce sont les premiers gradins anti-mafia d’Italie, aptes à véhiculer des questions éthiques en transformant positivement les chants violents des gradins, parmi les lieux les plus importants d’agrégation des jeunes, après la crise des centres paroissiaux et autres mouvements de jeunesse. Nous dénonçons leur état de dégradation, avec la présence de la criminalité et de l’extrémisme politique.

Promouvoir cette beauté, aller à contre-courant avec tant de détermination, n’est pas facile. Il y a eu, il y en a encore, des moments très difficiles.

En 2015, un an après l’inauguration du « Stade des Miracles », du fait de notre action en vue de retirer les enfants de la rue, il y eut une tentative d’incendie pour le détruire. D’autres zones réaménagées furent, elles, systématiquement détruites. Il y a environ un an, ma voiture fut incendiée et quelqu’un est entré dans le stade pour m’agresser. Je fus placé sous escorte pour avoir montré des choses que les gens font semblant de ne pas voir, pour avoir lutté dans le but d’enlever de l’espace au crime. Nous avons rompu un équilibre – une étape fondamentale pour le changement – et nous en payons le prix.

Revenant à la beauté, sur les maillots des joueurs, il n’y a pas de noms, mais y figurent les valeurs du Calciosociale.

Chaque année, il y a un thème lié aux activités à l’intérieur et hors du terrain. D’où le nom des équipes. Cette année, ce sont les hommes et femmes qui ont consacré leur vie à la justice : Falcone, Borsellino, Anna Politkosvkaja, Martin Luther King, Mandela, parmi d’autres. Sur le terrain, ils portent ces noms sur les maillots. En dehors, il y a des réflexions sur ce que ces personnes ont fait, en rapport avec l’actualité, sur le fait qu’il s’agit de valeurs « vivantes ».

Quelles sont les caractéristiques de qui contribue à faire avancer la machine du Football social ?

Ce doit être une personne de grande sensibilité, motivation et force, car il est facile de baisser les bras face aux difficultés du contexte dans lequel nous agissons.

Quelles furent les plus grandes satisfactions, les réponses les plus encourageantes, au cours de ces années ?

Quand, lundi dernier, j’ai vu la nouvelle tribune pleine d’enfants et de jeunes qui criaient « les gradins exultent et la mafia est détruite », mon cœur était rempli de joie : voir l’enthousiasme, lié à une profonde valeur sociale, vous récompense de l’effort, de tant de souci, souffrance et contrariété. Il en va de même lorsqu’une décharge illégale devient un espace pour les citoyens. Nous avons encore beaucoup à faire, mais nous avons l’appétit pour cela, que ce soit dans la récupération des espaces ou dans le projet de transformer les écoles de foot italiennes, presqu’aussi nombreuses que les collèges du pays.

Quels conseils donnerais-tu à qui voudrait entreprendre un projet comme le vôtre ?

…que la personne devrait rapiodement s’habituer à être continuellement attaqué pour sa détermination à apporter des changements positifs, pour vouloir sortir des dynamiques d’insulte pendant les matchs, d’un football imprégné de violence, d’un système qui le vit ainsi.

Quelle est l’importance de l’accompagnement des médias ?

C’est essentiel parce que le crime veut le silence et que des histoires comme la nôtre sont marginalisées et isolées. La bataille est menée ensemble, aussi en réveillant les consciences, en formant les consciences civiques de la société.

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